La restauration au cours de sa formation en tant que discipline, n’a pas été que « pratique ». Si sensible, l’intérêt qu’elle porte ou qu’elle apporte (ou censée apporter) aux monuments ou aux objets patrimoniaux ne s’accomplit pas dans une démarche mécaniste exclusivement technique. La restauration, par précaution, est adoptée comme l’ultime phase dans une le processus conservatoire. Cependant cette opération ne constitue pas un recours automatique pour restituer les monuments. L’état altéré que présente les monuments, a aussi de fervents adeptes.
La ruine cristallise les représentations du passé, du présent et du futur. La ruine est évocation ; son altération est le signe du temps, de son effet, de l’usure ayant affecté l’objet, autrefois, intégral, complet, entier, frais. L’image de cette fragilité s’insère dans la sensibilité, elle est réveillée par l’esprit méditatif.
La ruine est fascinante, elle enveloppe les réminiscences, les filiations, les performances. Elle rappelle la plénitude temporaire, le destin de tout ici-bas.
Poètes et écrivains de différentes époques et de différents country ont produits de formidables figures de rhétoriques en s’inspirant des ruines.
La poésie arabe préislamique a été fortement marquée par l’évocation du passé, la nostalgie qui s’éveille à la rencontre des vestiges.
Halte, et pleurons au rappel d’une aimée, d’un camp
Au déclin de la dune entre Dakhoul, Hawmal,
Toûdih et Miqrât, dont la trace ne s’efface
Grâce à la navette des vents, du sud, du nord ; (Imrou El Kais).
Baudelaire faisait partie de cette romance nostalgique :
Honteuses d’exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs;
Et nul ne vous salue, étranges destinées!
Débris d’humanité pour l’éternité mûrs!
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs;
Et nul ne vous salue, étranges destinées!
Débris d’humanité pour l’éternité mûrs!
Diderot distilla quelques langoureuses locutions :
« L’effet de ces compositions, bonnes ou mauvaises, c’est de vous laisser dans une douce mélancolie. Nous attachons nos regards sur les débris d’un arc de triomphe, d’un portique, d’une pyramide, d’un temple, d’un palais, et nous revenons sur nous-mêmes. Nous anticipons sur les ravages du temps, et notre imagination disperse sur la terre les édifices mêmes que nous habitons. A l’instant, la solitude et le silence règnent autour de nous. Nous restons seuls de toute une génération qui n’est plus ; et voilà la première ligne de la poétique des ruines. »Cette ruine a aussi ses adeptes chez les critiques d’art. Le plus connu parmi eux, J. Ruskin (1819-1900), a rédigé beaucoup d’ouvrages, aussi autoritaires jusqu’à nos jours.
Dans un langage franc et direct, il stigmatisait la restauration des monuments. Elle n’est que mensonge. Position radicale, Ruskin prône le respect de l’authenticité de l’œuvre, car, toute intervention (même bien intentionnée), effacera l’empreinte originale de l’artisan. Ce dernier avait pu mettre à contribution tous ses sens, accompagnant ses gestes manuels.
Toucher à son ouvrage sera une « violation » un acte blasphématoire à la sacralité et de l’authenticité. Nous ne savons pas si cette attitude procède d’un puritanisme britannique, ni d’un réalisme anglo-saxon, mais il y a dans cette posture une forme d’interdit nourrie par un romantisme hautement artistique. Prônant le non-interventionniste, Ruskin appelle à une conservation qui s’attache à préserver l’esprit créateur et la sensibilité de l’artisan, plus que l’objet lui-même.
Dans la 6eme lampe, la « lampe du souvenir », il évoque la restauration :
La vraie signification du mot restauration n’est comprise ni du public ni de ceux à qui incombe le soin de nos monuments publics. Il signifie la destruction la plus complète que puisse souffrir un édifice ; destruction d’où ne se pourra sauver la moindre parcelle ; destruction accompagnée d’une fausse description du monument détruit. Ne nous abusons pas sur cette question si importante : il est impossible, aussi impossible que de ressusciter les morts, de restaurer ce qui fut jamais grand ou beau en architecture. Ce qui, comme je l’ai dit plus haut, constitue la vie de l’ensemble, cette âme que seuls peuvent donner les bras et les yeux de l’artisan, ne se peut jamais reconstituer. Une autre époque lui pourra donner une autre âme, mais ce sera alors un nouvel édifice. On n’évoquera pas l’esprit de
l’artisan mort ; on ne lui fera pas diriger d’autres mains et d’autres pensées. Quant à une pure imitation absolue, elle est matériellement impossible. Quelle imitation peut-on faire de surfaces dont un demi pouce d’épaisseur a été usé , tout le fini de l’oeuvre se trouvait dans ce demi pouce d’épaisseur disparu ; si vous tentez de restaurer ce fini, vous ne le faites que par supposition ; si vous copiez ce qu’il en reste en admettant la possibilité de le faire fidèlement (et quelle attention, quelle vigilance ou quelle dépense nous le pourrons garantir ?) en quoi ce nouveau travail l’emportera-t-il sur l’ancien ? Il y avait dans l’ancien de la vie, une mystérieuse suggestion de ce qu’il avait été et de ce qu’il avait perdu ; du charme dans ces tendres lignes, œuvre du soleil et des pluies. Il n’en peut y avoir aucune dans la dureté brutale de la sculpture nouvelle.
(...) Le premier résultat d’une restauration (...), c’est de réduire à néant le travail ancien. Le second est d’ordinaire de présenter la copie la plus veule et la plus méprisable, et en tout cas, pour soignée et pour travaillée qu’elle soit, une imitation sans plus, froid modèle de telles parties qui se pouvaient modeler, avec des adjonctions hypothétiques. (...).
XIX. Ne parlons donc pas de restauration. La chose elle-même n’est en somme qu’un mensonge. Vous pouvez faire le modèle d’un édifice, comme vous le pouvez d’un corps, et votre modèle peut renfermer la carcasse des vieux murs, tout comme votre figure pourrait renfermer le squelette, mais je n’en vois pas l’avantage et peu m’importe. Le vieil édifice est détruit, Il l’est plus complètement et plus impitoyablement que s’il s’était écroulé en un monceau de poussière ou effondré en une masse d’argile. (...)
Mais, dirait-on, la restauration peut devenir une nécessité ! D’accord. Envisagez la nécessité bien en face et acceptez-en toutes les obligations. La destruction s’impose. Acceptez-la, détruisez l’édifice, jetez-en les pierres dans des coins écartés, faites-en du lest ou du mortier, à votre gré : mais ne faites-le honnêtement, ne les remplacez pas par un mensonge. Envisagez seulement cette nécessité avant qu’elle ne se soit présentée, et vous la pourrez éviter. Le principe des temps modernes (c’est un principe selon moi, en France tout au moins, systématiquement appliqué par les maçons, pour se procurer de l’ouvrage, et l’Abbaye de Saint Ouen fut détruite par les magistrats de la ville, histoire de donner du travail à quelques vagabonds) consiste d’abord à négliger les édifices, puis à les restaurer. Prenez soin de vos monuments et vous n’aurez nul besoin de les restaurer. Quelques feuilles de plomb placées en temps voulu sur la toiture, le balayage opportun de quelques feuilles mortes et de brindilles de bois obstruant un conduit sauveront de la ruine à la fois murailles et toiture. Veillez avec vigilance sur un vieil édifice : gardez le de votre mieux et par tous les moyens de toute cause de délabrement. Comptez-en les pierres comme vous le feriez pour les joyaux d’une couronne :
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XX. (…) la conservation des monuments du passé n’est pas une simple question de convenance ou de sentiment. Nous n’avons pas le droit d’y toucher. Ils ne nous appartiennent pas. Ils appartiennent en partie à ceux qui les ont construits, en partie à toutes les générations d’hommes qui viendront après nous Ruskin, J. - Les sept lampes de l'architecture. Paris, Denoël, 1987.225 p. (en p.204-206) (1ere Ed. 1849).
La ruine a constitué un thème timide dans l’architecture moderne. C’est dire que leur vision introduit une « évocation » mélancolique, nostalgique à défaut d’une beauté transcendante.
La conservation et même la restauration se sont intéressées aux ruines. Maintenir en état un vestige appelle également des connaissances et un savoir-faire appropriés. Les ruines des villes « mortes » et des monuments historiques restent des témoins d’une époque et s’insèrent dans le registre patrimonial, même si l’usage manque à leur fonctionnalité.
En conclusion, le culte de la ruine et des monuments historique a été surtout l’apanage des poètes et des artistes. Ceux-ci y puisaient leur inspiration, leur évocation romantique ou iconique. Cependant, en tant que telle, la ruine fait aussi partie du registre patrimonial, et bien sûr appelle à des démarches conservatrices. Dans ces soins, la « valeur » temporelle, figure comme un matériau essentiel, qu’il faut éviter de reléguer ou d’effacer.
A.BOUCHAREB 2010
(Extrait d'un cours de PG option Patrimoine)
Bonjour, je suis étudiant en art, et je m'intéresse tout particulièrement aux ruines, à leurs façon d'être représenté et décrites depuis le 18e à aujourd'hui. J'ai trouvé très enrichissant cet extrait de cours, existerait-il en totalité?
RépondreSupprimerCordialement,
Léo
C'est tout le cours....
RépondreSupprimerIl constitue un appui pour débattre des questions du patrimoine. Ce cous a été élaboré pour des étudiants en post graduation "patrimoine".
Le autres cours portent sur d'autres thèmes.
RépondreSupprimermerci pour le partage de ce cours, je travaille sur la vision des ruines par les artistes,j'ai une liste de poèmes sur le sujet, de l'admiration au dégoût,et la vision des conservateurs qui tentent de trouver le juste équilibre m'a ouvert quelques nouvelles pistes de reflexion.
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